Lorca : L'Écriture sous le sable

Généralement réunies sous l'appellation « théâtre impossible », El Público (Le Public) et Así que pasen cinco años (Lorsque cinq ans seront passés) ont été qualifiées d'« injouables » ou d'« irreprésentables », par Lorca lui-même. S'il semble évident que des motivations d'ordre moral ont donné lieu à ce jugement critique, elles n'en sont pas la cause principale et n'empêchaient pas le dramaturge de préparer, en 1936, la mise en scène de Así que pasen cinco años et d'envisager celle de El Público. En revanche, certaines déclarations l'attestent, Lorca est tout à fait conscient d'être en avance sur son temps, non seulement du point de vue de la revendication homosexuelle (ou simplement sexuelle) mais aussi dans la mise en place d'un langage théâtral expérimental, dans la déconstruction systématique des fondements de l'expression et de la réception théâtrales. Plus que les mœurs, ces pièces transgressent les conventions théâtrales, les systèmes, tout ce qui, dans le théâtre, s'est figé et sclérosé au fil du temps. Elles exigent un regard neuf, un nouveau spectateur prêt à abandonner le « théâtre à l'air libre » pour s'engouffrer, derrière Lorca et ses personnages qui n'en sont pas, dans le « théâtre sous le sable », à la recherche de « la vérité des sépultures ». Ce volume part donc explorer ces zones d’ombres de l'œuvre lorquienne et s'engage sur le territoire mouvant des sables d'une écriture qui apparaît, toujours, insaisissable. Une première section établit des ponts entre les deux pièces et le reste de la production lorquienne, notamment la poésie, indissociable de l'exégèse du théâtre lorquien. Les deux suivantes sont consacrées respectivement à chacune des deux pièces. Les points d'approche sont divers (psychanalytiques, mythiques, sémiologiques, narratologiques, contextuels, symboliques, esthétiques, métathéâtraux, etc...) et témoignent de la richesse de textes qui autorisent des perspectives aussi variées. A cette multiplicité de points de vue s'ajoute la parole de ceux qui font le théâtre et lui donnent corps. Chacune des deux parties monographi-ques s'achève par un entretien avec un homme de théâtre, parmi les rares à avoir eu le courage de relever les innombrables défis posés par deux œuvres réputées injouables. Cette dernière approche des textes est complémentaire de la critique universitaire. Il n'est pas inutile de rappeler cette évidence : que le théâtre passe nécessairement par l'incarnation dans l'espace et le temps de la représentation. Que ces textes, tout cryptiques et abstraits qu'ils sont, possèdent aussi une dimension charnelle, quand bien même la chair affleurant au terme du voyage sous le sable serait celle des sépultures.