Les camps et la littérature. Une littérature du XXe siècle

Dès la libération des camps nazis furent publiés de nombreux textes de rescapés, au point de susciter, chez certains lecteurs et jusque dans la presse, une certaine lassitude. De fait - mais ce n'est assurément pas pour cette seule raison -, ces textes ne tardèrent pas à se trouver soit proprement occultés, soit relégués au statut confus de « témoignages », ce qui autorisait à en circonscrire l'effet dans l'éphémère de l'événement et à les exclure du champ littéraire. Sur ce point, et en dehors d'un lectorat assez restreint, les choses n'ont changé que dans le courant des années 1980, notamment avec la haute figure, enfin reconnue, d'un Primo Levi. Et pourtant la question du témoignage, de son statut, de sa légitimité, de sa possibilité même, n'a cessé, sous différentes formes, et en relation avec les aléas de l'histoire la plus contemporaine, de susciter de vifs débats. Or ce débat, la littérature y a très tôt répondu à sa façon en produisant des œuvres qui comptent parmi les plus fortes du XXe siècle. Peut-être même était-ce là la seule réponse légitime : un Georges Perec, dès 1963, exposait clairement que la question du témoignage ne pouvait être qu'une question littéraire — et qu’en même temps elle engageait toute la littérature. C'est pourquoi l’approche adoptée dans ce volume se veut d'abord, et en son abord, littéraire. Partant de la conviction que la littérature d’après 1945 ne pouvait être qu’une littérature d'après les camps, que l'expérience des camps a produit une littérature du XXe siècle, il s'agissait de relire Robert Antelme (le volume ne cesse de croiser L'Espèce humaine), David Rousset, Jean Cayrol, Primo Levi, Jean Améry, Varlam Chalamov, Jorge Semprun - selon cette perspective. Quelles pratiques d'écriture spécifiques ces œuvres engagent-elles ? Comment s'éclairent-elles d'être lues selon des modalités relevant de l'analyse littéraire actuelle ? Comment nous incitent-elles, enfin, à revenir sur la question même de la littérature, de la littérature contemporaine, qu'elle avoue ou non sa dette à l'égard de ces textes particuliers, tous portés par une sorte d’urgence, de tension, par un enjeu qui n'échappe pas au lecteur - et auquel on ne souhaite pas qu'il échappe.