Mythologies du romantisme.

Plurielle, voire disparate est la fresque qui fait se succéder, dans le livre d'heures de la littérature romantique française, la Carmen de Prosper Mérimée en qui, Pierre Glaudes le montre, la séduction s'enténèbre de mort et de fatalité, le Napoléon de Dumas père sur lequel Maurice Descotes projette l'éclairage de l'histoire du théâtre ou bien encore ce Satan que Gérard Peylet représente perdant progressivement sa prégnance symbolique à mesure que, du romantisme au décadentisme, son image s'intériorise sous l'effet de « l'anthropolâtrie » qui envahit le satanisme fin de siècle. Disparate encore le cortège de personnages mythiques en tous genres: Le Christ, Prométhée, Pygmalion, Moïse, Satan, le Juif errant; disparate aggravée par le fait qu'aux incarnations mythiques auxquelles nous venons de faire un sort, servent de contrepoint des mythes sans nom propre, mythe de la Nation, mythe de la Révolution, mythe de l'Art. Or comment ressusciter les figures mythiques chères au romantisme français sans s'interroger sur la manière dont, à travers elles, le XlXe siècle nous invite à esquisser une problématique du mythe et des lectures qu'il inspire ? Négativement, dans la mouvance de la pensée allemande de Herder, Creuzer, Schelling, nombre d'écrivains s'emploient à libérer le mythe de ce qu'Alain Petit nomme la « trinité critique » de l'invention, de l'artifice et de la contingence, trinité faite de catégories écrans de nature à empêcher de donner au mythe son origine, sa nécessité et son caractère sui generis. Conceptualisation sinon négative encore, du moins différentielle dans Les Mélanges de mythologie et de linguistique (1877) de Michel Bréal auquel Jacques-Philippe Saint-Gérand reconnaît le double mérite d'avoir arraché la science naissante du langage à l'impérialisme de mythologues empressés de trouver dans les mythes le secret de l'origine des langues et d'avoir requis de la linguistique une authentique rigueur scientifique, une « toujours plus grande fiabilité de déduction faite à partir du matériau langagier ». Positivement, les études que nous regroupons ici convergent pour montrer que le mythe est toujours, peu ou prou, l'invitation au déchiffrage d'une vérité, d'un savoir masqués qui s'expriment au style indirect ou se dissimulent dans l'implicite. Masqué, tel est, de fait, le savoir « non absolu », « impur », dirait Jean-Pierre Leduc-Adine, qu'Émile Zola, dans L'Œuvre, nous transmet sur l'Art et l'Artiste. Masquée encore, mais sur un autre mode — explique Simone Vierne —, est la vérité que George Sand, de Consuelo à Cadio et Nanon, prétend nous léguer sur la Révolution et nous révéler tout en la voilant de fabulation romanesque. Masqué, tel semble enfin le message que Pierre Glaudes nous invite à découvrir dans Carmen au terme d'une minutieuse investigation psychanalytique. Tout à tour dissimulé sous les masques d'une doxa de l'avant-gardisme pictural chez Zola, d'une métahistoire chez George Sand, d'un fantasme phylogénétique chez Mérimée, le mythe se mettrait-il donc toujours au service d'une vérité travestie en laquelle se rejoindraient le social et le symbolique, l'imaginaire et l'idéologique ?