Crises de la représentation dans le cinéma américain

La question « comment représenter aujourd'hui ? » peut servir de point de départ à une réflexion sur l'évolution du statut de l'image cinématographique. Dans le cinéma américain en particulier s'expriment différentes formes de crises : idéologiques, économiques, sociales, psychologiques, esthétiques. Ainsi, D. W. Griffiths explore, au-delà de la représentation de la guerre de Sécession, les ten-sions et les contradictions de la société américaine pendant la période de la reconstruction. Le film de guerre, devenu genre spécifique, illustre certains renversements de perspective. L'évolution de la relation homme/femme s'exprime dans le motif du "odd couple" dans le cinéma des années soixante, soixante-dix. L'essentiel des contributions concerne des aspects plus formels du sujet, et tente de définir et d'illustrer différentes modalités de la crise de la représentation. L'ambivalence de la notion de crise est soulignée dans la mesure où elle se définit aussi comme oxy-more, conjonction des contraires : dépression, affaissement et/ou paroxysme, violence. Certains réalisateurs adoptent une esthétique visant à exprimer une crise des valeurs par des stratégies telles que la répétition, la symétrie, l'inversion (Charles Laughton) mais aussi le mélange des genres et des styles (Ernst Lubitsch). Plusieurs interventions ont mis en cause l'idée que le classicisme hollywoodien serait caractérisé par l'homogénéité d'un système stable dont la forme (les différents genres codifiés) serait l'émanation. La crise apparaît ainsi comme une norme plutôt qu'une exception. Elle peut aussi se définir en termes de fragmentation, de discontinuité, d'éclatement. Ainsi, chez Kubrick, Lynch et d'autres, le chaos thématique, la surabondance de signes, les impasses du sens, conduisent le spectateur à modifier ses attentes. La narration et l'énonciation filmiques sont au service d'une appréhension transgressive de l'espace-temps. La crise formelle s'exprime volontiers par une mise en relation de différents modes de représentation (Cassavetes, Stone), ce qui permet la mise en place d'un jeu subtil sur le rapport entre savoir du spectateur et incertitude ou illusion. Des liens plus troublants existent entre la notion de crise et une certaine approche du statut de l'image, celle qui caractérise le genre "fantastique" mais ne se réduit pas aux codes du genre. Ce type de cinéma qui met en scène un "irréel" mobilise, plus qu'un autre peut-être, les affects du spectateur et représente aussi un lieu privilégié d'expérimentation (Jacques Tourneur, David Cronenberg). La crise formelle s'exprime de manière encore plus radicale chez Andy Warhol qui opère un retour à l'objet, établit des liens avec d'autres formes d'art et se fonde sur des processus descriptifs plus que narratifs qui jouent sur la provocation. En définitive, au-delà des illustrations thématiques de la notion de crise, l'enjeu concerne l'évolution des formes, la tension qui résulte d'approches esthétiques différenciées. La crise au cinéma semble profondément liée à la volonté d'innovation et de transgression des codes de narration classique. Elle vise aussi à modifier le rapport au spectateur qui ne peut plus se limiter à un rôle passif et est constamment sollicité au plan affectif mais aussi intellectuel (Woody Allen). Ont collaboré à ce numéro de nombreux spécialistes français et étrangers de réputation internationale. Certains des textes sont issus d'un atelier cinéma consacré à la crise qui s'est tenu dans le cadre du congrès AFEA de La Rochelle (mai 1994).

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