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Passion, émotions, pathos
« Si fort que l'on pleure, on finit toujours par se moucher », écrivait Heine, posant ainsi, non sans sarcasme, la question des émotions et des passions. Qu'on leur cède ou qu'on les refuse, c'est bien l'articulation entre l'esthétique et l'éthique qui est en jeu dans leur représentation en littérature, puisque le pathos engage à la fois une conception du langage et un questionnement sur le statut du corps.
Au-delà du jugement moral que l'on peut porter sur elles, la question des passions, et de la souffrance en particulier, est liée aux problèmes de la représentation et de l'expression. Faut-il montrer les passions, ou les démontrer dans les mots ? Que faut-il en montrer ? Ne risque-t-on pas de ne plus rien montrer à force de vouloir tout dire ou trop dire ? Dans L'Expulsion du paradis terrestre, la fresque de Masaccio qu'on peut voir dans l'église Santa Maria del Carmine à Florence, le désespoir des deux personnages est traité de manière très contrastée. Contrairement à la douleur d'Ève, celle d'Adam est plus contenue et plus intérieure : sous l'effet du désespoir, il oublie de dissimuler son sexe. Tête baissée, la bouche entrouverte, il cache son visage de ses mains jointes qui en masquent l'expression. Le spectacle de la douleur serait-il plus obscène encore que celui de la nudité ?
Dès son apparition dans la langue et dans la littérature française en 1672, le mot « pathos », placé par Molière dans la bouche du pédant Vadius, est tourné en dérision, alors que Corneille dans l'Examen d'Horace souligne l'importance du pathétique. Entre séduction et répulsion, le désordre des passions menace l'ordre du discours qui tente de les prendre en charge. Il faut pourtant « en passer par la misère des mots », comme l'écrit Louis-René des Forêts dans Ostinato.
La mise en œuvre des passions, dans ses modalités très diverses, suscite le retour insistant d'images et de questions. Si la tradition littéraire occidentale s'ouvre sur la colère d'Achille dans l'Iliade, une des images fondatrices de l'écriture de la passion est celle de la mort du Christ. Elle est remise en jeu dans les textes littéraires qui en soulignent la dimension spectaculaire et exemplaire. La passion a donc partie liée avec la théâtralité. Mais la mise en scène des passions peut aussi bien les exalter que les tenir ironiquement à distance, en donnant raison à Nell, ce personnage de Beckett pour qui « rien n'est plus drôle que le malheur ».
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