Via Placcia – Impasse Quérard
(Essai sur les vies parallèles de Vincent Placcius et de Joseph-Marie Quérard)

Par Maurice LAUGAA
Publication en ligne le 09 septembre 2010

Texte intégral

1Vincent Placcius naquit à Hambourg un 4 février 1642 ; il mourut le 6 avril 1699 ; il publia en 1674 l’un des premiers dictionnaires de pseudonymes, le Syntagma ; une réédition posthume, très augmentée, parut en 1708, par les soins de Jean-Albert Fabricius, sous un titre splendide : Theatrum anonymorum et pseudonymorum.

2Joseph-Marie Quérard naquit à Rennes un 26 décembre 1796, soit le 6 nivôse an V, selon l’un de ses rares biographes, Célestin Gauthier1, qui suit les indications portées sur l’acte de naissance ; Joseph-Marie Quérard pensait être né le 25 décembre 1797. Il mourut le 1er décembre 1865. Il publia, de 1847 à 1853, les 5 volumes de ses Supercheries littéraires dévoilées, au nombre desquelles il inclut les pseudonymes. Le premier volume d’une seconde édition paraît en 1865, sous un titre fastueux : « Les Supercheries littéraires dévoilées : Galerie des écrivains français de toute l’Europe qui se sont déguisés, sous des anagrammes, des astéronymes, des cryptonymes, des initialismes, des noms littéraires, des pseudonymes facétieux ou bizarres, etc., découverts ou non ; des auteurs apocryphes supposés, des plagiaires et des éditeurs infidèles de la littérature française pendant les quatre derniers siècles, ensemble les industriels littéraires et les lettrés qui se sont anoblis à notre époque ».

3Enfin, une édition posthume, augmentée et remaniée, parut en 1869-1870, par les soins de Gustave Brunet et Pierre Jannet.

4Parmi les pièces liminaires du Theatrum, figure une Vita de Vincent Placcius ; son auteur est J.-A. Fabricius. Plusieurs citations sont empruntées à une œuvre de jeunesse de Placcius, en vers, les Carmina puerilia et juvenilia, publiés en 1668. Le tome XI de La France littéraire, paru en 1854-18572, qui sert de complément et de correctif aux dix tomes de l’ouvrage du même nom, ainsi qu’aux Supercheries, contient une notice biographique consacrée à Joseph-Marie Quérard. Sous l’auteur supposé, Mar. Jozon d’Erquar (« un des compatriotes et amis du bibliographe »), se cache Joseph-Marie Quérard. Cette notice fait l’objet d’une republication séparée, en 1857, sous un titre flamboyant : Un Martyr de la Bibliographie : Notice sur la Vie et les Travaux de J. M. Quérard […]

5Vincent Placcius use aussi du pseudonyme ; le Theatrum en mentionne deux : Nomicus Pacemutus Analyticophilus, et Nicetas Spilius.

6Vincent Placcius, selon l’histoire de sa vie narrée par Fabricius fut un homme souffrant et exemplaire. Joseph-Marie Quérard, selon l’histoire de sa vie racontée par lui-même, fut aussi un homme souffrant.

7À tort ou à raison, une sorte de désespoir anime le projet immense de Quérard. La force tranquille de Placcius suppose, en retrait, une sorte de joie. Peut-être les biographes ont-ils menti ; peut-être la même coulée d’angoisse et de plaisir déferle et s’institue-t-elle dans ces travaux d’Hercule. On devrait alors supposer que désespoir, vers 1700, se disait joie. Et que, vers 1850, joie se disait désespoir.

8Pour être plus précis, l’insertion de la Vie dans les pièces liminaires du Theatrum, le dialogue de Fabricius avec des fragments autobiographiques datant des années de jeunesse, composent, sur les marges du grand œuvre, un hommage canonique, et comme une longue épitaphe. Cet hommage est travaillé par une tension interne : l’éloge de Fabricius vaut ici comme transcription héroïsée d’une pratique individuelle. Nous savons cependant, comme l’indique le Moreri (1732) à l’article Placcius, que l’auteur du Syntagma fut un chaud partisan du travail en équipe, où se fondent les particularités :

Ce dessein fut tellement du goût des savants, que plusieurs marchèrent sur ses traces, et l’auteur lui-même ayant demandé du secours à tous ceux qui pourraient lui en fournir, il grossit tellement son livre, qu’il en fit un volume in-folio très épais. Il n'eut pourtant pas le plaisir de se voir imprimé.

9Une activité solitaire déclenche chez l’auteur et dans la communauté scientifique le désir d’une activité collective, dont nous sont données une version euphorisante (marcher sur les traces du fondateur) et une version anxieuse (je ne peux suffire à la tâche), anxiété dont une mort soudaine (l’apoplexie) scande la vérité. Le monument tue son auteur, et l’embaume dans un excès d’identité : car s’organise, dans l’enceinte de ce théâtre une célébration du mort, logeant celui-ci dans un monument secondaire, où l’augmentation des entrées, l’éloge de l’auteur princeps, le récit de sa vie montrent et disent la croissance, sous le couvert du nom, de forces étrangères, prolongeant la survie d’un acte intellectuel, mais annonçant le temps des classements anonymes.

10De sorte que le nom est Monument de cette altération, autorisant, favorisant les glissements internes du savoir.

11Placcius, nom propre, désigne et mesure, hors d’un accident biographique, la durée active d’un désir de connaître. La Vincentii Placcii viri clarissimi vita marque dans le corps du livre, cette limite interne entre deuil, célébration, relais et perte d’identité ; elle condense et représente le mouvement qui soutient la réédition du Theatrum, en dénouant la relation d’un nom et d’un sujet.

12Écrire une Vie de Vincent Placcius3, c’est faire l’éloge de l’humaniste, selon les canons d’une progression réglée : origine familiale, enfance, éducation, voyages formateurs, carrière, mort (et, tissé dans la doublure d’une existence, le livre et ses croissances, des Juvenilia aux œuvres inédites). Mais cet éloge se subdivise en deux régions, l’une où le récit domine, où la singularité de l’événement coïncide avec la linéarité d’une transcription ; l’autre où les appareils de la description, de la liste et du document funèbre convoquent dans le texte l’espace du tableau4, dont le Theatrum effectue ensuite l’opération. Comme si la vie et l’œuvre convergeaient vers ce temps lent de l’écriture, où le rythme de l’événement s’assourdit, où les opérations comptables autorisent le retour en arrière et la projection vers un avenir. Cette disjonction prend sa source dans un trait du récit ; l’écrit comme monument est une revanche contre une fragilité inscrite dès l’origine :

Il vint au jour avec un corps débile, de sorte que tous désespéraient de le voir vivre, personne ne lui promettant une longue existence.

13Entre la liste de ses œuvres publiées, et celle des ouvrages inédits, vient, pour appuyer la créance d’un lien entre la maladie et la bibliographie, un bref récit de ses maux et de sa mort :

Parmi tant de travaux et de veilles, pour le bien public, il subit l’assaut de très graves maladies, l’hypocondrie, les coliques et la goutte ».

14Enfin l’asthme et l’apoplexie parachèvent l’œuvre de mort. Et un peu plus loin :

Il ne laissa d’autres enfants que ces monuments, inédits, de son génie.

15De sorte que la mort du bibliographe, par un raisonnement dont n’émergent que quelques propositions, loin d’être un point catastrophique, envahit lentement le texte qui mémorise une vie, vie qui déjà par la passion du livre, et plus particulièrement de ce qui dans le livre est tableau, liste, dictionnaire, ordonnait la mort, la transmuait en écriture. L’épitaphe, composée par Placcius, témoigne assez bien de l’incessante transmutation entre un corps-souffrance et les travaux du lettré :

par cette pierre sont recouverts
les ossements de Vincent Placcius (...)
qui, cherchant longtemps en cette vie
la justice et la miséricorde de Dieu,
épuisé par la maladie pendant de longues et cruelles années,
enfin est parti dans la paix,
comme il l’avait longtemps désiré ;
le 6 avril 1699, à l’âge de 57 ans,
lié indissolublement à Dieu et aux études.
S’il s’était éloigné de l’un ou de l’autre,
il serait resté peut-être plus longtemps sur cette terre,
mais il n’aurait pas vécu comme
il l’a fait et le fera, en ce siècle et dans l’autre,
par la renommée du savoir et des bonnes mœurs,
et l’espoir de la bienheureuse résurrection immortelle.
La vie sans les belles-lettres est SOMMEIL.
Sans CHRIST, elle est MORT.5

16Parlant de lui à la troisième personne, Quérard insère, dans son œuvre, un éloge de cette œuvre et de son auteur, qui fait partie, indissociablement, de deux ensembles : cette notice bio-bibliographique est un fragment de la France littéraire ; elle est aussi un point de vue extérieur sur l’œuvre, dont elle retrace la genèse et l’effet. L’anagramme est la figure de cette distorsion intérieur-extérieur, et de cette capacité du sujet de dire sa souffrance comme souffrance de l’autre dans un acte d’auto-expulsion ; souffrance qui tient, structurellement, à l’éviction ordinaire du bibliographe de sa bibliographie.

Quérard (Joseph-Marie), à qui, avec trop de bienveillance, peut-être, l’on a donné la qualification de chef des bibliographes français, de patriarche et apôtre des hommes voués aux études bibliographiques, est le premier en France, qui ait essayé de faire de la science des livres une profession, un honorable moyen d’existence, conséquemment un insensé ! car, ainsi que l’a dit si plaisamment quelque part M. le bibliophile Paul Lacroix : « La bibliographie est un grand désert, où le sol aride produit à peine des pommes de terre ». Il y a longtemps que M. Quérard a dû s’apercevoir qu’il s’était fourvoyé dans une impasse6, mais il n’en a pas moins persévéré dans cette fausse voie, et son fanatisme pour sa spécialité l’a conduit, avec le temps, à s’y briser, à en devenir le martyr. C’est un entraînement que désormais personne ne suivrait, si l’on savait les sacrifices incessants, les fatigues continues que réclame cette partie introductive des connaissances humaines : les déceptions, les misères et les tribulations qui ont été pour le bibliographe les uniques résultats. Sur l’individualité de l’homme modeste dont nous faisons la biographie, il y a peu de chose à dire.

17Peu de chose à dire en effet, sinon que brouilles, procès et prison tiennent à l'exercice de l’acte, ou de la passion bibliographique. Dans le même article, Quérard évoque, un peu plus loin, la rancune tenace d’un Conservateur à son égard, démasqué dans son ignorance pour avoir catalogué HERSELF comme nom d’auteur, à partir de ce titre « Memoirs of a young lady, written by herself ».

18Bio-bibliographe flamboyant, Quérard ne craint pas l’éloge déguisé : « Le troisième ouvrage capital de M. Quérard est les Supercheries littéraires dévoilées (1844-54, 5 vol. in 8°). La bibliographie est un produit de l’intelligence assez froid et assez sec pour ne pas émotionner ordinairement. Les Supercheries littéraires dévoilées ont été une rare exception : on les a lues, louées et blâmées ; tant d’amours propres se trouvaient en jeu dans ce livre, et quoi de plus chatouilleux que des amours-propres d’écrivains ? La malveillance de quelques critiques a même servi au succès : le livre, quoique bibliographique a été trouvé piquant, et une seconde édition, très augmentée s’en prépare ».

19J’aime ce « livre quoique bibliographique », où l’enveloppement du livre-objet par la liste qui le contient se défait d’une exception ; conjonction disjonctive d’une totalité-fragment. Pour absorber dans son dictionnaire la masse des livres singuliers, « je » n’en écrit pas moins un livre, ou, discret déchirement, c’est là encore un livre ; métaphore du sujet divisé contre lui-même, mirant sa division dans la réécriture totalisante du livre d’autrui, devenu « mon » livre. J’y verrais, à la limite, l’enjeu secret de l’acte bibliographique ; en s’expulsant comme sujet d’une écriture, en se posant comme extériorité d’un classement, le bibliographe retourne en singularité et en subjectivité ce passage à l’universel.

20Le corps de l’article (une dizaine de pages), la disposition serrée en deux colonnes, l’absence de tout paragraphe aérant la masse érudite sont comme l’illustration d’une cuisson du savoir, à l’étouffée, dans la marmite quérardienne. Régularité, grisaille d’un discours qui écrase la différence, mais sous cette monotonie, couve une violence latente ; deux traits viennent en effet altérer cette masse homogène.

21La fréquence des citations, soit pour faire témoigner autrui en sa faveur, soit pour attester la stupidité ou la cruauté d’une réponse négative à ses sollicitations, tend à inscrire, sous la notion bibliographique, les actes d’un procès où Quérard occupe simultanément la place de l’accusé et du procureur. La souffrance du bibliographe traqué, sa recherche infructueuse d’un emploi de bibliothécaire, ses déboires avec la justice, tout cela sans doute dit le « vrai » d’une vie, mais renvoie aussi, inextricablement, à une aptitude du martyr à fixer lui-même la vulgate d’un récit hagiographique7.

22Scindée en deux parties inégales (12 colonnes pour la Vie, 8 pour les œuvres), cette notion est ordonnée par l’alternance du narratif et du taxinomique. Mais cette binarité est trompeuse : écrire la vie, c’est déjà faire paraître le livre dans sa genèse et lors de sa publication ; classer les livres, c’est encore évoquer des événements, des anecdotes, une histoire (ainsi, p. 594, « les calamités qui suivirent la révolution de février déterminèrent la suspension de ce livre »). La France littéraire ou les Supercheries apparaissent et reparaissent donc comme les signes d’une équivalence entre vivre et classer. L’honneur de classer passe par une souffrance, qui tient peut-être à l’opération du classement, mais d’abord à la position singulière de l’être classant dans une société vouée au profit, ou aux ambitions creuses.

23À la jonction des deux séries, l’auteur (déguisé) s’écrie : « Avons-nous assez justifié l’épithète de martyr de la bibliographie qu’on a appliquée à notre bibliographe national ? On doit s’étonner, à bon droit, qu’une vie tourmentée, si utilement remplie, attende encore une équitable récompense ».

24À la différence de Placcius rédigeant son épitaphe, Quérard n’attend pas d’un au-delà la récompense de sa peine (aucune occurrence du mot Dieu dans ces dix pages) ; il sollicite, il dénonce, il désespère. Et pourtant quelque chose excède cette plainte et ce réquisitoire au cœur de l’œuvre, au cœur du procès bibliographique, il y a, dirai-je par raccourci, le rire de Quérard. Rire étrange qui est mise à mort des anciens bibliographes (dont Placcius), et de quelques modernes. Rire étrange qui est fusion d’un amour proclamé de la vérité (scientifique) et d’une passion plus folle, peut-être : par un retournement qui fait question, la bibliographie, ce n’est pas seulement « la science des livres », intemporelle, universelle, mais c’est aussi la mise à nu d’une société vouée au mensonge, et comme une socio-biographie. En se protégeant derrière les propos du baron de Reiffenberg (dans le Bulletin du bibliophile belge), Quérard avoue la violence de son désir :

M. Quérard, dit le critique, est le plus réjouissant de tous ceux qui ont traité le même sujet que lui. Placcius, Dahlmann, Neumann, Mylius, etc., étaient des savants graves et froids à la mort. M. Quérard est un dénicheur dont la malice égale le courage, et qui est servi par des correspondants spirituels et malins, au courant de tous les cancans littéraires. De cet accord, il est résulté un livre qui fait un bruit d’enfer, un livre Où toutes les célébrités de la plume et de l’écritoire sont représentées en déshabillé, où toutes les ruses de l’amour-propre ou de la cupidité sont dévoilées ».

25Un Michel Polac de la bibliographie, en somme8.

26Le travail de la citation dans le discours, les imbrications du récit et de la liste participent d’un même effet : comment, par le truchement de la non-personne, quelque chose se dit d’un sujet, qui ne saurait se confondre avec sa personne (grammaticale) d’élection. J’épinglerai les formules par lesquelles Quérard se désigne, tout en opérant sur une part de lui-même, ainsi éloignée, une saisie affective, une appropriation secondaire : survol d’une indifférence affectée, qui autorise la plongée vers le sujet misérable, pour un rapt sauvage : « notre bibliographe futur [...] », « ce bon M. Quérard, d’une naïveté si patriarcale, d’une franchise sentant parfois le paysan du Danube ». La réflexivité ne délivre pas autant le sujet de ses peines ; elle est comme le mime d’une Histoire où le principe de répétition détermine la logique des actions ; ainsi de cette ultime remarque, quand le récit de vie rejoint le moment présent, c’est-à-dire très exactement le sauvetage financier de Quérard, englouti dans les dettes, par le lancement d’une souscription : « Monsieur Quérard crut être tiré d’embarras ; mais il n’avait pas compté sur la Fatalité qui veille toujours à sa porte. La souscription n’était pas close, que déjà une nouvelle infortune l’atteignait ». Fatalitas.

27Les dernières années (1857-1865) ne nous sont récitées que par le truchement des tiers. Désir de suicide, ivresse chronique9, puis un happy end qui vient trop tard : le mariage avec une femme riche, la reconnaissance des pouvoirs publics, la croix de la légion d’honneur accordée le douze août 1865.

Il entreprenait la seconde édition de ses Supercheries littéraires, la première livraison venait même de paraître, quand la mort, précédée de cruelles souffrances, vint inopinément, le 1er décembre 1865, le prendre en plein travail, alors qu’il corrigeait les épreuves de sa préface.

28Cette mort « en cours de réédition »10 nous renvoie à Placcius sans doute ; mais les conditions sont bien différentes. Là où un groupe pieusement prend le relais du maître pour achever l’ouvrage interrompu et publier le Theatrum, dans le cas de Quérard, un rival, Gustave Brunet, profite de l’occasion, et rachète à vil prix tous les manuscrits du bibliographe. Là, vénération, ici sourde animosité. À l’exaltation par Quérard d’un self déguisé et souffrant, au praticien d’une « bibliographie de combat »11, s’oppose le dénigrement des successeurs, ou l’effacement des traits déviants. Célestin Gauthier, qui tente dans la Nouvelle revue de Bretagne la réhabilitation d’un « breton méconnu » nuance parfois ses éloges : non, la virulence n’est pas de mise dans la bibliographie.

29Il y a, dans le discours de Paul Lacroix, prononcé sur la tombe de Quérard, une formule assez amusante : « Il était né bibliographe, il a vécu, il est mort bibliographe ». Non pas « il est né », sans doute car le plus-que-parfait implique une antériorité advenant à partir d’un présent de la vie et de la mort ; depuis ce point de parole « sur une tombe », reflue jusqu’à la naissance la passion d’un destin. Formule amusante donc, qui pourrait susciter bien des caricatures : le bibliographe au berceau réunissant les traits disjoints de l’in-fans et du vieillard ; mais formule saisissante, car elle hallucine, dans son raccourci égalitaire, l’abolition des frontières entre la vie et le livre, entre l’objet dont on écrit, et l’écrit qui en advient.

30Un peu plus loin, Paul Lacroix, avec la même candeur et la même fougue, poursuit « Il était aussi biographe, et, le dirai-je, s’il avait obéi à ses instincts et suivi sa vocation, il eût été exclusivement biographe (...). Il pensait d’ailleurs que la biographie était inséparable de la bibliographie. » J’avais pensé à mon tour montrer le jeu des équivalences et des contiguïtés qui font communiquer des termes logiquement distincts.

31Évidence de ces glissements ; me retenir de discourir à leur propos ; isoler plutôt ce point bibliographique qui vient unifier les temps distincts de la naissance, de la vie et de la mort. Profondeur et comique indissociés de la formule de Lacroix.

32Le bibliographe assume en lui deux temporalités incompatibles : il conserve la mémoire du temps pour la mort ; il absorbe ces mouvements, ces pulsations, en s’assignant le pouvoir du même.

33Il dit : être bibliographe, c’est naître.

Pour citer ce document

Par Maurice LAUGAA, «Via Placcia – Impasse Quérard
(Essai sur les vies parallèles de Vincent Placcius et de Joseph-Marie Quérard)», La Licorne [En ligne], Les publications, Collection La Licorne, 1988, Le travail du biographique, mis à jour le : 28/01/2014, URL : https://licorne.edel.univ-poitiers.fr:443/licorne/index.php?id=4969.