ÉTUDE D'UN MICRO-SYSTÈME LEXICAL : LES MÉDICAMENTS SOLIDES
Partie II

Par Jacques-Philippe Saint-Gérand
Publication en ligne le 28 mai 2014

Texte intégral

TABLEAUX RÉCAPITULATIFS :A/. SEMES GÉNÉRIQUES

1Voir le document joint : Sèmes génériques

B/. SEMES SPECIFIQUES (a)

2Voir le document joint : Sèmes spécifiques (A)

B/. SEMES SPÉCIFIQUES (b)

3Voir le document joint : Sèmes spécifiques (B)

4N. B. : Dans les tableaux précédents, + = oui, – = non, tandis que le signe ~ = indifférent.

5Enfin, il reste à considérer la substance du contenu de ces éléments. Cette substance peut être définie à travers l'opposition précédemment entrevue du produit actif à son excipient, le second n'étant en quelque sorte que le support du premier. Le produit actif peut être affecté des traits /simple/ ou /complexe/, selon qu'il agit seul ou qu'il entre en composition avec d'autres produits ; l'excipient peut, lui-même, être caractérisé par les traits /matière inerte/ ou /extrait/. Et nous avons alors un classement du type :

(bol, dragée, globule, granule, pastille, pilule, tablette) /vs / (cachet, capsule, comprimé, gélule) /vs / (ovule, suppositoire)

6Les effets virtuémiques ou connotatifs sont particulièrement res­treints à l'intérieur de ce micro-système. Les seuls enregistrés par l'usage, se rattachent aux lexèmes dragée et pilule :

7i) La dragée est amère.

8Avaler la dragée,

9ii) Avaler la pilule.

10Dorer la pilule.

11Prendre une pilule.

12Rappelons que les virtuèmes sont des sèmes déterminés par les affinités combinatoires des lexèmes et permettant le transfert du signifié d'un code significatif, le dénotatif où l'insère ordinairement son signifiant, en un autre code significatif, le connotatif, où il se réalise en fonction de l'entourage syntagmatique. Il est ainsi facile de dégager des cinq occurrences précédentes la valeur négative des lexèmes envisagés. Peut-être est-il plus important de rendre compte de la manière dont s'effectue ce processus ? Dans deux cas, dragée et pilule entrent en composition, comme objet, avec le verbe avaler ; dans un troisième cas, relativement proche, ce dernier verbe est remplacé par l'archilexème correspondant : prendre. Dans ces deux types de collocation ce sont les sèmes ressortissant des aspects précédemment évoqués de la forme du contenant (/-plat/) et de la substance du contenant ( /solide/) qui, associés au complexe de sèmes génériques (/absorption buccale/, /immédiate/, /-dilué/), constituent un sémème complexe réagissant récursivement sur le sémème verbal pour aboutir à une signification constructionnelle (épisémème) : supporter sans protester quelque chose de désagréable Dans ce genre de relation sémantique institutionalisée en langue, les valeurs connotatives associées au développement syntagmatique d'une séquence induisent des significations indéterminables à partir des sémèmes de chaque constituant : dragée ou pilule en sont par exemple venus à figurer l'indice1 de tout ce qui est non seulement désagréable, mais comporte un risque ou un danger pour la personnalité de qui assume le processus d'avaler ou prendre. Ce qu'une paraphrase banale exprimerait sous la forme : avaler /prendre une pilule = ± faire pénétrer en soi un corps étranger complexe et angoissant, si tant est que l'expérience commune lie toujours l'utilisation du médicament (rarement préventif, le plus souvent curatif) à l'état de maladie.

13De même, dans les deux derniers exemples :

La dragée est amère / Dorer la pilule

14ce sont les sèmes dépendant de l'aspect « substance du contenant » qui réagissent sur l'élément verbal pour déterminer dans le premier cas une valeur négative ressortissant du sens du prédicat adjectif « amère », et dans le second cas, une valeur positive découlant du sens du verbe «dorer» ; non que ces deux éléments soient utilisés ici dans leur signification ordinaire, mais bien plutôt parce qu'ils évoquent dans ce contexte le processus de fabrication des objets dragée ou pilule, et qu'à ce titre ils expriment respectivement un inachèvement et une finition révélant ou masquant sa valeur indicielle définie comme précédemment.

Conclusion :

15Cette analyse peut apparaître, à la fois, peu économique et partielle. Peu économique, car elle introduit un système à classification exclusive de 27 sèmes ; cependant, en ne tenant compte que des sèmes positivement contenus par chacun des termes de cet ensemble, nous pouvons résumer les informations antérieures dans les matrices suivantes :

16où il ressort que cachet est en quelque sorte, à l'heure actuelle, l'archilexème de cet ensemble à l'aide duquel on peut composer selon les modes de la similitude ou de la différenciation les paraphrases définitionnelles des autres termes de l'ensemble. Partielle, aussi, car cette description effectuée uniquement à partir du signifié, a totalement négligé une étude morphologique du signifiant ; mais le sémanticien doit, avant tout, se placer dans la situation du récepteur qui, remontant des signes exprimés au plan conceptuel, s'efforce de retrouver le mécanisme sémasiologique d'une langue, sans prétendre à rendre compte du mécanisme onomasiologique faisant passer de l'intention de signification à la solution des formes de substance. Dans cette perspective, il n'était pas dénué d'intérêt de se livrer à l'investigation du micro-système lexical des médicaments solides. Si, comme le note Bloomfield, « en pratique, nous définissons la signification d'une forme linguistique partout où nous le pouvons, dans les termes d'une autre science2 », cela ne permet pas d'inférer que le lin­guiste se soit livré à un travail ne relevant pas de son domaine spécifique. Ce recours au monde extérieur des choses par la langue qui est le mode d'appréhension, et de transmission de toute expérience, ainsi que le support nécessaire de son analyse, loin d'être un détour, est en réalité le gage d'un retour plus direct au problème fondamental de la création de significations ou de formes particulières à chaque langue, alors que la substance est universelle.

ANNEXE DOCUMENTAIREa) Les techniques d'analyse :La Linguistique, guide alphabétique, dir. A. Martinet, Paris, 1969, 487 p., article 44, p. 340.

« Tout en accueillant avec sympathie les recherches visant à dégager des structures de sens, Martinet met en garde contre les difficultés d'une telle analyse : unités à deux faces, les monèmes sont bien plus complexes que les phonèmes, et il est impossible d'en clore jamais la liste. En effet, depuis les succès de la phonologie française, un certain nombre de lin­guistes essaient d'en appliquer les principes à l'analyse du contenu séman­tique : on cherche à déceler des oppositions significatives, à dégager des traits pertinents et commutables dans le lexique, la grammaire, etc. Une des tentatives les plus intéressantes et les plus complètes à cet égard est celle de Prieto, pour qui le sens doit être examiné en fonction de l'acte de parole. »

Dictionnaire Robert, en 6. vol., Supplément, 1972, p. 450 a.

« Sème : 1943, E. Buyssens. Elément simple, dans l'analyse du sens d'un mot ; trait différentiel minimal de contenu. »

Dictionnaire Encyclopédique des Sciences du Langage, par Ducrot et Todorov, Paris, 1972, 471 p., p. 339-340.

« Hjelmslev, qui appelle figure tout élément linguistique qui n'est ni un Sa ni un Sé, appelle les unités sémantiques minimales des figures du contenu. Les linguistes français parlent souvent avec Pottier et Greimas, de Sèmes. [...] La recherche de ces unités est appelée analyse sémique ou encore analyse componentielle. Sa méthode est avant tout la comparaison de mots [...] et ne fait que perfectionner la méthode plus ancienne des champs sémantiques. Mais au lieu de relever seulement, pour chaque mot, à quels autres mots de la même région lexicale il s'oppose, on cherche d'abord des couples de mots dont la différence semble minimale et on décide que chacune de ces différences tient à l'opposition de deux atomes sémantiques appelés sèmes. Ensuite on décrit les différences plus complexes comme des combinaisons d'oppositions minimales (en posant que les mots comparés différent par plusieurs sèmes). »

Dictionnaire de Linguistique, Paris, Larousse, J. Dubois et aliud, 1973, 537 p., p. 435.

« L'analyse sémique vise à établir la composition sémantique d'une unité lexicale par la combinaison de traits sémantiques ou sèmes, unités minimales de signification non susceptibles de réalisation indépendante.
L'analyse sémique calque ses unités sur celles de l'analyse phonologique. Le trait sémantique ou sème, sera le trait pertinent de la signification, le sémème sera l'ensemble des sèmes d'une unité lexicale. L'archisémème sera l'ensemble des traits pertinents en cas de neutralisation, enfin l'allo- sème sera le sème susceptible de réalisations différentes selon l'environne­ment sémantique.
On peut illustrer cette terminologie à partir de l'exemple désormais classique des sièges (B. Pottier). Par exemple, les sémèmes de Chaise et Fauteuil possèdent en commun les sèmes : Sj /avec dossier /, S2 /sur pieds /, S3/pour une seule personne/, S4/pour s'asseoir/. Le sémème de chaise étant : St + S2 -f- S3 + S4, celui de fauteuil sera Sj + S2 + S3 + S4 + S5 où S5 = /avec bras /. Pour l'ensemble des sièges, ou obtiendra l'archi­sémème S2 + S4 (« sur pieds » + (< pour s'asseoir »). L'« analyse sémique trouve son origine dans des recherches de classification technologique. On remarquera que les sèmes dégagés n'ont pas de valeur métalinguis- tique, et n'apportent que des renseignements classificatoires sur la chose décrite. En effet, bras dans « le fauteuil a deux bras » n'a rien de commun avec bras dans « l'homme a deux bras ». Le sème / avec bras /, technolo­giquement pertinent pour le fauteuil, ne comporte pas la référence à la même réalité que dans bras humain. Si l'on voulait procéder, avec J. Cl. Gardin, par une systématique des traits technologiquement pertinents, mieux vaudrait rapprocher bras (de fauteuil) d'anse (de pot) plutôt que de bras (humain). Le problème est repoussé de l'opposition chaise ¡vs /fau­teuil à l'opposition bras (de fauteuil) /vs/ bras (d'homme), puisque le sème /bras / dans cette analyse ne réfère en définitive qu'à bras de fau­teuil, aboutissant à la tautologie : le fauteuil a des bras qui sont des bras de fauteuil. »

Le Langage, dir. B. Pottier, Paris C.E.P.L., 1973, 657 p., p. 453.

« Sème... désigne dans la terminologie de B. Pottier, le trait sémantique pertinent ou l'unité minimale de signification. Si nous admettons le parallélisme avec le plan phonique, le sème sera, sur le plan du contenu, ce que le phème ou trait phonique pertinent, est sur le plan de l'expression. Phème et sème ne sont pas susceptibles de réalisation indépendante. »

Dictionnaire de la Linguistique, dir. G. Mounin, Paris, 1974, 429 p., p. 294.

« Sème... le terme est issu des tentatives faites pour analyser le signi­fié en unités irréductibles comme il semble légitime de le faire pour le signifiant. Dans cette perspective, le sème est l'unité sémantique minimale, résultant de l'analyse des signifiés. Ainsi, selon B. Pottier le signifié « chaise » s'analyse en quatre sèmes (...) ; outre les traits généraux comme « non animé » ou « objet ». On peut les considérer par une analogie superficielle avec la phonologie comme les traits distinctifs de l'analyse séman­tique. »

b) Les éléments du micro-système :

17(N. B. : Chaque citation précédée de * est extraite du Grand Dictionnaire Robert, précédée de **, du Larousse Encyclopédique en 10 volumes.)

Pour citer ce document

Par Jacques-Philippe Saint-Gérand, «ÉTUDE D'UN MICRO-SYSTÈME LEXICAL : LES MÉDICAMENTS SOLIDES», La Licorne [En ligne], Les publications, Collection La Licorne, 1976, La Licorne, mis à jour le : 28/05/2014, URL : https://licorne.edel.univ-poitiers.fr:443/licorne/index.php?id=5920.