La Licorne

Poèmes

Par Jacques Chessex
Publication en ligne le 22 avril 2016

Table des matières

1Neige, soleil, miel noir des pièges
Rire de l’Autre, le mendiant de nos miettes
Celui qui ne se repose pas
Au fond des crevasses invisibles

2Je suis un village abandonné sur la colline sans eau
Je suis un chemin dévasté, vers nulle terre
Quand la neige est venue
Seules les corneilles
Dans leurs tournois rauques
Ont salué ma solitude
J’attendais l’Avent
J’ai trouvé le pire, le morne, la neige n’y peut rien
Et le pire, le rire de celui qui ne dort pas
A sali ma naissance au bord des gouffres

3Tu as été avalé par le Poisson
Et tu es revenu de ses entrailles après trois jours
J’ai été tenté par le diable
Et je n’ai pas quitté ses ravines depuis trois mille ans

4Tu figurais les seules entrailles
Les trois jours avant la lumière
J’étais voué à être mangé par la mort
Ce matin je suis assis devant une prairie verte
Où quelques arbres s’éveillent de l’hiver
Je me souviens de ce moment où j’ai dû
Dans ta volonté, ne pas vouloir

5J’ai quitté la neige pour la boue
Je n’ai pas mérité ta transparence
Quand la lumière m’a touché
J’ai fermé mon regard
Et mes yeux se sont tournés vers les ténèbres

6Puis j’ai quitté la boue pour la tombe
Et quelle histoire a commencé !
J’aimais les deux mots « se défaire », Tu le sais
Mais jamais je n’aurais cru que ce fût si facile
De vieillir dans Ton au-delà
Comme on meurt au sein de sa mère en renaissant

7Comme l’Os, le recueil récent (Grasset, octobre 1988) dont sont extraits ces trois poèmes, se propose comme une sorte de miroir central où les thèmes de Chessex dans le lyrique, le roman, la chronique de vie, le récit ou la réflexion critique, s’appellent et se rejoignent au regard du passé de l’écrivain, de sa vie et de son œuvre d’aujourd’hui, et du sentiment fort de l’œuvre à faire. Une étape décisive, donc, dans le cours d’une écriture et d’une existence. C’est d’ailleurs la même entreprise, pour tout dire.

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